L’électrophysiologie cardiaque à l’échelle cellulaire est l’un des axes majeurs de la recherche menée à l’IHU Liryc. Mais pourquoi est-il essentiel d’approfondir notre compréhension de ces mécanismes ? Elements de réponse avec le Dr Sébastien Chaigne.
L’électrophysiologie cardiaque, qu’est-ce que c’est ?
L’électrophysiologie cardiaque est une branche de la physiologie (NDLR : Partie de la biologie qui explore les fonctions et les propriétés des organes, des tissus et des cellules des êtres vivants) qui étudie l’activité électrique du cœur. Le cœur est un organe musculaire complexe qui est composé de quatre cavités : deux oreillettes et deux ventricules. Ces cavités se contractent pour pomper le sang afin d’acheminer l’oxygène et les nutriments au sein des organes et gérer l’élimination de nos déchets. Pour assurer ce rôle vital, le cœur est contrôlé par des impulsions électriques qui régulent ses battements. L’électrophysiologie cardiaque se concentre sur l’étude de ces impulsions : comment elles sont générées, propagées dans le cœur, et leur impact sur la contraction et la relaxation cardiaque
Comment l’activité électrique d’une cellule cardiaque est-elle générée ?
Pour le faire battre, chaque cellule du cœur est contrôlée par des impulsions électriques. Cette activité électrique est principalement générée par des mouvements d’ions (NDLR : atome ou groupe d’atomes porteurs d’une charge électrique) à travers la membrane cellulaire grâce à des protéines transmembranaires communément appelées « canaux ioniques ». Pour fonctionner efficacement, le cœur doit battre à un rythme régulier. Dans ce contexte, les cellules cardiaques alternent de façon cyclique entre les phases de dépolarisation (contraction) et de repolarisation (relaxation). Pour ce faire, la balance ionique des ions sodium (Na+), potassium (K+) et calcium (Ca2+) assure la génération et la propagation des potentiels d’action, essentiels pour coordonner les battements du cœur (NDLR : on désigne par « potentiel d’action », un événement de courte durée pendant lequel le signal électrique varie au cours du temps à l’échelle cellulaire).
Comment enregistrer ces courants ioniques ?
Il faut énormément de patience et peut-être une certaine dose de folie pour enregistrer les courants ioniques à l’échelle de la cellule. Plus sérieusement, il faut maîtriser des techniques très sophistiquées et parfois capricieuses !
Le patch clamp, considéré comme la technique la plus précise et informative en électrophysiologie, mesure les courants ioniques provenant d’une cellule cardiaque en isolant une petite portion de la membrane cellulaire ou en accédant directement au cytoplasme de la cellule (NDLR : contenu de la cellule qui se trouve entre sa membrane et son noyau). Ces mesures permettent de détecter les moindres variations des courants ioniques, fournissant ainsi des données cruciales pour mieux comprendre la fonction cardiaque. Grâce au patch clamp, nous pouvons mieux comprendre et analyser les mécanismes sous-jacents des activités cellulaires en condition physiologiques ou pathologiques.
Quelle est la taille des courants ioniques ?
Les courants ioniques mesurés à l’échelle cellulaire, qui sont généralement de l’ordre de picoampères (pA), sont extrêmement faibles. Pour vous donner une idée, un picoampère est environ un milliard de fois plus petit qu’un milliampère, l’unité couramment utilisée pour mesurer le courant des ampoules LED. Bien que les courants ioniques mesurés soient très faibles, leur importance est considérable en raison de leur rôle vital dans le fonctionnement des cellules cardiaques. Ces minuscules courants sont responsables de la transmission des signaux électriques qui régulent la contraction des cellules du cœur et donc du muscle dans son ensemble, lui permettant de jouer son rôle de pompe de manière efficace. En coordonnant ces contractions, ils assurent un rythme cardiaque régulier et efficace. Ainsi, même des courants aussi faibles peuvent avoir un impact majeur sur le rythme global du cœur et, par extension, sur la santé cardiaque en général. En effet, un dérèglement de ces courants ioniques peut provoquer des arythmies (ou orages électriques), perturbant le pompage du sang et, par conséquent, compromettant la perfusion des organes vitaux. Comprendre et mesurer ces courants est donc essentiel pour développer des traitements contre les maladies cardiovasculaires et pour assurer un fonctionnement optimal du cœur.
Existe-t-il d’autres équipes d’électrophysiologie cardiaque en France ?
Oui, plusieurs équipes et laboratoires en France sont spécialisés dans l’électrophysiologie cardiaque mais l’équipe de l’IHU Liryc est parmi l’une des rares au monde à pouvoir réaliser un travail partant du patient jusqu’à des investigations approfondies au niveau des gènes et des mécanismes cellulaires. Cette approche intégrée nous permet de comprendre les maladies cardiaques de manière globale, en reliant les observations cliniques aux détails moléculaires et cellulaires.
Sur quoi travaillez-vous actuellement ?
Après une longue période de mise au point, nous sommes aujourd’hui en mesure de travailler sur les cellules cardiaques de Purkinje (NDLR : les fibres de Purkinje (du nom de celui qui les a découvertes : Jan Evangelista Purkinje) qui se situent dans les parois et sur la surface endocardique des ventricules. Ces cellules spécialisées permettent de propager l’influx électrique sur la partie basse du cœur. Elles représentent environ 2 % de la masse du cœur et ont été au centre de nombreuses années de recherche afin de préserver leur intégrité. De ce fait, nous nous apprêtons à soumettre une nouvelle méthode qui combine l’utilisation de l’intelligence artificielle avec des techniques d’électrophysiologie standard, ce qui devrait nous permettre de faire de grandes avancées dans le domaine de la cardiologie et d’améliorer notre compréhension des bases moléculaires de la mort subite liée à des dysfonctionnements des fibres de Purkinje. Dans ce contexte l’utilisation de la technique du patch clamp a été une étape importante pour valider notre méthode/approche et je suis convaincu que de grandes avancées sont à portée de main.
Quel est votre rêve ultime ?
La science est un domaine extrêmement difficile qui exige rigueur, ténacité et, bien sûr, des rêves ambitieux. L’un de ces rêves occupe mon esprit depuis plusieurs mois, voire même plusieurs années. La recherche s’inscrit dans un temps long mais étape après étape, j’espère toujours innover et faire des avancées médicales significatives pour le traitement des pathologies cardiaques. Mon objectif est d’offrir à la population des battements cardiaques supplémentaires et une plus grande espérance de vie en bonne santé.
Un dernier mot ?
L’institut Liryc est un lieu magique. Il est basé à Bordeaux et il faut le soutenir !